HISTOIRE DE LA CORSE : LES FRERES BIAGGI
En
1778 les frères Biaggi (Matéo et Anton-Marco) furent accusés d'avoir commis un
assassinat. On chercha leurs complices. Les soupçons se portèrent sur un habitant de Vutera (Guitera), San Vitu Lanfranchi, neveu du
curé du même village. Le commandant d'Ajaccio, Beaumanoir, confia tout naturellement
l'enquête au lieutenant-colonel
Abbatucci qui s'en ouvrit au curé de Cuzzà. Ce dernier lui indiqua plusieurs
témoins. Effectivement, un paysan nommé Dominique vint témoigner, ajoutant qu'Antoine
Macconi était prêt à témoigner dans le même sens, ce qu'il fit aussitôt. Dominique
cependant expliqua ses craintes, à savoir que Sanvito était un homme redouté, protégé
par son oncle, le curé, et que son témoignage l'exposait à leur vengeance. Abbatucci
prit acte de ces déclarations et envoya les deux hommes déposer à Ajaccio auprès du
procureur du roi.
Dans
les jours suivants, un soldat de son régiment, Guillaume Tasso, indiqua à Abbatucci que
les deux témoins paraissaient varier dans leurs déclarations. Inquiet, celui-ci remit à
(Guillaume) Tasso une note lui permettant de vérifier la similitude des déclarations.
Effectivement Antoine et Dominique, s'étaient rétractés, mais cette malencontreuse note
put servir de base à l'accusation intentée contre son auteur.
Sur
les indications d'Abbatucci, dix témoins déposèrent contre Sanvito, Dominique et
Antoine se défendirent en accusant Guillaume Tasso de les avoir subornés. En avril 1778,
le tribunal d'Ajaccio déchargea Sanvitu et condamna Tasso aux galères, Dominique au
carcan et Antoine à assister à l'exécution. Appel fut formé contre cette sentence et
l'affaire fut portée devant le Conseil Supérieur de la Corse, lequel ordonna un
complément d'enquête et désigna deux conseillers-commissaires chargés de recueillir
sur place de nouvelles dépositions. Ces commissaires, à la solde de Marboeuf, se
transportèrent à Ajacciu, annonçant que ce n'était pas contre Sanvito qu'ils venaient
acquérir des preuves mais contre les suborleurs des témoins qui avaient chargé ce
dernier. Abbatucci fut donc déclaré d'ajournement personnel, interrogé, confronté à
Antoine et Dominique qui, d'abord interdits, embarrassés par ces interpellations, se
coupèrent dans leurs réponses, mais, persistèrent néanmoins dans leurs déclarations,
à savoir qu'ils avaient été corrompus pour déposer contre Sanvito.
Abbatucci
se rendit à Bastia pour présenter sa défense devant le Conseil Supérieur. Rien n'y
fit; un mois plus tard il fut arrêté, mis au cachot et interrogé sur la sellette.
Enfin, le 5 juin 1779, le jugement fut rendu qui, par quatre voix contre trois, le
condamnait à neuf ans de galère, à être fouetté et marqué au fer rouge. La noblesse
de Corse s'assembla pour demander un sursis ou une commutation, ce qui lui fut refusé.
Cette sentence provoqua un grand trouble dans toute la Corse. Le jour de l'éxécution la
ville de Bastia prit le deuil. Le bataillon provincial, prêt à se soulever, fut
consigné. Aucun Corse n'assista au supplice. Le bourreau, acheté, refusa de lui faire
subir la peine de la marque. Enfin Abbatucci fut embarqué pour le bagne de Toulon en
compagnie de Guillaume Tasso et Dominique qui avaient également été condamnés. Sans
cesser de clamer son innocence il y passa trois ans.
Ne
restant pas inactive, sa famille fit naturelement déposer en son nom une demande de
révision du jugement rendu. Cette requête finit par aboutir et, par arrêt du 18 mars
1782, la procédure du Conseil Supérieur de Bastia fut cassée et l'affaire renvoyée
devant la sénéchaussée d'Aix-en-Provence. L'innocence d'Abbatucci fut d'autant plus
facile à établir qu'Antoine Macconi, sur son lit de mort, déclara n'avoir jamais été
sollicité par Abbatucci et n'avoir agi que "sous la contrainte excercée par le
curé de Guitera". Une sentence rendue le 20 juin 1786, solennellement confirmée
dans un arrêt du Parlement de Provence, en date du 17 juillet 1786, déclara donc le
Sieur Abbatucci innocent et autorisé à afficher l'arrêt le déchargeant de toute
accusation. Le curé de Vutera fut quant à lui condamné à être pendu et étranglé
après avoir fait amende honorable.
Dès
le 1er janvier 1787 Ghjcumu Petru Abbatucci retrouva son commandement et fut réintégré
dans son grade de lieutenant-colonel. La monarchie, soucieuse de réparer une telle
injustice, lui décerna le 6 septembre 1789, la Croix de Chevalier de l'Ordre de
Saint-Louis.
La
révolution française éclata en 1789 alors que Ghjacumu Petro Abbatucci se trouvait sur
le continent.
Vutera
= ancien nom de Guitera
Talavu
= ancien nom de Talavo